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21 juin 2006 3 21 /06 /juin /2006 01:19
 

Ecrits de Antoni Tápies

Ces citations peuvent être lues après l'étude d'un tableau (cf mon autre article)

 

 

 

L’art est une source de connaissance, tout comme la science ou la philosophie. Et la grande lutte entreprise par l’homme pour sans cesse affiner sa perception de la réalité, cette lutte où il trouve grandeur et liberté, ne peut aboutir s’il manie des idées déjà formulées et déjà réalisées. Des formes caduques ne peuvent pas servirent des idées nouvelles. Quand les formes ne sont pas capables d’agresser la société qui les reçoit, de la déranger, de l’inciter à la réflexion, de lui dévoiler son propre retard, quand elles ne sont pas en rupture, il n’y a pas d’art authentique. Devant une véritable œuvre d’art, le spectateur doit ressentir la nécessité d’un examen de conscience, d’une révision de son domaine conceptuel. L’artiste doit lui faire toucher du doigt les limites de son univers, et lui ouvrir des perspectives nouvelles. IL s’agit là d’une entreprise véritablement humaniste.

 

(…) Sans choc, il ne peut y avoir d’art. Si une forme esthétique n’est pas capable de dérouter le spectateur, et ne bouleverse pas sa façon de penser, ce n’est pas une forme artistique pour aujourd’hui. (pp 51-52).

 

Des grottes d’Altamira à Picasso, en passant par Velázquez, la peinture a toujours été abstraction. Face aux tenants inconditionnés du “réalisme ”, j’ai dit bien des fois que la “réalité ” n’est jamais dans la peinture, qu’elle ne peut se trouver que dans la tête du spectateur. L’art est un signe, un objet, une suggestion de la réalité à notre esprit.

 

Je ne vois donc aucun antagonisme entre abstraction et figuration du moment que l’une et l’autre nous suggèrent cette idée de réalité. La réalité que rencontrent les yeux est une ombre bien pauvre de la réalité. (pp 69-70).

 

Il n’est pas indispensable, lorsqu’on contemple un tableau, qu’on écoute de la musique ou qu’on lit un poème, de faire une analyse de ces œuvres. C’est déjà beaucoup que le spectateur accepte le choc de l’œuvre et les résonances, mêmes confuses qu’elle éveille dans son esprit. L’art agit sur toute l’étendue de notre sensibilité, et non sur notre seul intellect. (p 71).

 

Rappeler à l’homme ce qu’il est, lui fournir un thème de réflexion, produire un choc qui lui fasse sortir de son monde en trompe-l’œil et le conduire à sa propre découverte et à la conscience de ses véritables possibilités, voilà à quoi tend mon œuvre. (p 76).

 

Je n’ai jamais cru à la valeur intrinsèque de l’art. En soi, il me paraît n’être rien. Ce qui est important, c’est son rôle de ressort, de tremplin, qui nous aide à atteindre à la connaissance. Aussi je trouve ridicule qu’on veuille l’ “enrichir ” par un surcroît de couleurs, de composition, de travail… L’œuvre est un simple support de la méditation, un artifice servant à fixer l’attention, à stabiliser ou à exciter l’esprit ; sa valeur ne se juge qu’à ses résultats. (pp 93-94).

 

 

 

Regardez l’objet le plus simple, regardez par exemple une vieille chaise. Elle ne paraît pas être grand-chose. Mais pensez à tout l’univers qu’il y a en elle : les mains et la sueur de celui qui a taillé ce bois qui un jour fut un arbre robuste, plein d’énergie, au milieu d’une forêt touffue dans de hautes montagnes, le travail amoureux de celui qui l’a construite, le plaisir de celui qui l’a achetée, les fatigues qu’elle a soulagées, les douleurs et les joies qu’elle a sans doute supportées, dans un grand salon, ou peut-être dans une pauvre salle à manger de banlieue… Tout, absolument tout, représente la vie et a son importance. Même la plus vieille chaise porte en elle la force initiale de la sève qui, là-bas dans la forêt, montait de la terre, et qui servira encore à donner de la chaleur le jour où, devenue petit bois, elle brûlera dans une cheminée. (pp 141-142).

 

Que de suggestions peuvent naître de l’image du mur et de toutes ses dérivations ! Séparation, claustration ; murs des lamentations, murs des prisons ; témoins de la marche du temps, surfaces lisses, sereines, blanches, surfaces torturées, vieillies, décrépites ; marques d’empreintes humaines, d’objets, d’éléments naturels ; sensation de lutte, d’effort, de destruction, de cataclysme, ou de construction, de création et d’équilibre ; débris d’amour, de douleur, de dégoût, de désordre ; prestige romantique des ruines ; apports de matières organiques, formes suggestives de rythmes naturels et du mouvement spontané de la matière ; sens du paysage, suggestion de l’unité fondamentale de toutes choses ; matière généralisée ; affirmation et valorisation de l’élément terre ; possibilité de distribution variée et de combinaison de grandes masses, sensation de chute, d’effondrement, d’expansion, de concentration ; rejet du monde, contemplation intérieure, anéantissement des passions, silence, mort ; déchirures, tortures, corps écartelés, débris humains ; équivalence de sons, balafres, raclements, explosions, décharges de feu, coups, martèlement, cris, échos résonnant à travers l’espace ; méditation d’un thème cosmique, réflexion grâce à la contemplation de la terre, du magma, de la lave, de la cendre ; champs de bataille, jardin, terrain de jeu, destin de l’éphémère… (pp212-213).

 

Il faut considérer que si on n'entre pas dans le “jeu ” avec un état d’esprit particulier, il n’y a pas d’explications qui vaillent et qui ne provoquent autre chose que de l’ennui. Ce (…) point est fondamental et constitue en réalité le premier pas de l’analyse. Il s’agit d’un état d’esprit semblable à celui qui est nécessaire pour assister à une séance de prestidigitation ou de magie. (…)

 

Il n’y a qu’à voir ce qui arrive au spectateur qui va assister à une séance de prestidigitation avec pour seule préoccupation de découvrir les trucs du magicien. Plus il connaît de trucs et plus le spectacle lui paraît stupide, car tout cela n’est en réalité absolument rien : c’est une pure illusion, faite pour réjouir les innocents qui s’y laissent tromper. Voilà ce qui est plaisant et voilà la poésie. (…)

 

Nos sens glissent sur le trop-plein de préoccupations, de couleurs, de mouvements et de bruits dans lequel nous vivons. Nous devons conquérir et apprendre l’essentiel : pouvoir et savoir contempler, pouvoir et savoir nous concentrer sur ce que nous faisons, avoir du temps pour méditer, avoir dans notre vie un minimum de dignité et de liberté, et suffisamment de loisirs. (…)

 

Il est certain qu’en dépit de notre vulgarité occidentale et de notre grossièreté de spectateurs pressés, beaucoup d’entre nous apprennent intuitivement à se placer dans cet état d’accueil nécessaire pour recevoir le choc de l’œuvre d’art et pour éprouver les associations d’idées en chaîne qui constituent l’émotion artistique. Mais ce qui Orient est, ou a été, relativement commun semble ici n’être qu’une attitude réservée à quelques privilégiés. (…)

 

Pourquoi ce spectateur positiviste [celui qui a découvert le truc du magicien] serait-il justement plus clairvoyant ? Quelles sont ses prérogatives pour ne pas laisser les autres “imaginer ” librement ?

 

Tout le monde a le droit, s’il le désire, de lui dire [à l’artiste] qu’il est un farceur, que tout est faux, que c’est une illusion. Car lui aussi en est convaincu. C’est une porte qui mène à une autre porte. L’art, fût-il excellent, sera toujours une manifestation (…) de l’illusion universelle. La vérité que nous cherchons ne se trouve pas dans un tableau ; elle n’apparaîtra que derrière la dernière porte, que seul l’effort personnel du spectateur lui permettra de franchir. Le voile qui nous cache la vérité sera d’autant plus épais, nous aurons d’autant plus de mal à trouver le chemin que le tableau est important, que les personnages qu’il représente sont importants, qu’il y a de nombreuses couches de peinture et de couleur. (…)

 

J’ai toujours dit que l’affaire me paraissait très importante, mais j’ai dit aussi, dès le début, que ce n’est pas une affaire sérieuse, dans le sens que donne à ce mot ceux qui se croient sages, trop sages. Car l’art est une sorte de jeu et, comme peut-être pour toutes les choses humaines, ce n’est que par la voie de l’innocence que nous pourrons réellement en saisir le sens profond.

 

Mais, je le redis, je suis convaincu que cette innocence particulière de l’art et de la poésie est bien moins gratuite et inoffensive que ne l’imaginent les “doctes ”. (…)

 

[L’art] doit mener à la libéralisation réelle de l’esprit et à l’accomplissement de la nature humaine, dont “une mauvaise organisation sociale et morale - au profit d’une minorité- l’a systématiquement éloignée ”. (pp 268 et suivantes).

 

Toutes les citations sont tirées de : La pratique de l’art, Antoni Tápies, Folio essais n°254 (disponible au CDI).

 

Ces signes, je les mets de manière spontanée, intuitive, et cela me plaît tout simplement. (…) Quand je travaille, je n’analyse pas pourquoi je choisis une forme ou une autre. (…) Quand je peins un signe, un X ou une croix ou une spirale, j’éprouve une certaine satisfaction. Je vois que le tableau reçoit avec ce signe une force déterminée. Et je ne m’explique pas pourquoi. Je pourrais naturellement le faire a posteriori. (p 74).

 

D’abord j’ai senti la nécessité de démolir la survalorisation de l’être humain, de la détruire ; ainsi que tout l’humanisme au sens occidental ; je voulais montrer que l’être humain n’est pas privilégié, mais n’est qu’une partie de l’univers, que sa nature est la même que celle des astres, d’un morceau de papier ou de la feuille d’un arbre. (p 77).

 

L’être humain n’est peut-être pas présent [dans mes tableaux] mais ces signes l’évoquent. Cela peut être relié aussi à ma volonté de ne plus jamais revenir à la peinture en tant que reproduction photographique. Tout ce qui est photographiable ne m’intéresse pas. Je veux évoquer l’être humain indirectement. (p 77).

 

Je pense qu’une œuvre d’art devrait laisser le spectateur perplexe, le faire réfléchir sur le sens de la vie. Nous savons tous que, grâce aux annonces, à la propagande, à la publicité et à la consommation telle que nous la suggèrent constamment les moyens de consommation de masse, les individus se retrouvent dans un état d’aliénation de plus en plus grave. Je crois que l’artiste est encore un dernier îlot de liberté, et c’est pourquoi il peut encore amener les individus à réfléchir, car les idées qu’on la plupart des gens sur ce qu’est une vie normale ne correspondent pas à la vie véritable, mais à un système de vie qu’on leur a imposé. (pp 84-85).

 

Mes œuvres permettent en fait différentes lectures. Mais en suggérant les choses je gagne une marge beaucoup plus large d’associations que j’aimerais mettre en marche chez le spectateur. (...) J'ai observé que lorsque nous dessinons les choses seulement de manière allusive, l’observateur est obligé de les compléter avec sa propre imagination. Cela implique la participation de l’observateur, une participation à l’acte créateur que je considère comme très importante. De cette manière, l’observateur prend part aux problèmes de l’artiste. (p85).²

 

Pour moi la bonne peinture est toujours ambiguë, comme le mot. (p 107).

 

Extraits de Conversations avec Antoni Tápies, Barbara Catoir, ed Diagonales (à la Médiathèque de Poitiers)

 

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