Je projette un tableau en grand, celui qui me plait. Prenons par exemple « le grand X ». Je ne donne ni le titre ni l'auteur : on n'est pas à « question pour un champion »
Au début je laisse parler les élèves et même les encourage à donner leurs commentaires et même en français :
« c'est nul ; ça représente rien ; moi aussi je peux faire ça ; c'est pas de l'art; y'a des gens qui payent pour ça ? ; ça veut rien dire ; il n'y a rien à dire là-dessus ; quel rapport avec la préparation du bac ? ; à part faire plaisir au prof ça sert à quoi ? Etc. »
On laisse passer l'orage, on fait le dos rond et on leur dit une part de la vérité :
- il faut que vous appreniez à vous débrouiller à parler face à des situations où vous n'avez pas grand chose à dire a priori. Pour cela nous allons utiliser une méthode qui a fait ses preuves : on décrit le plus sèchement possible la chose étudiée (texte, action, tableau), etc.) puis après on commentera chaque partie décrite.
Et c'est parti pour la description : couleurs, situation dans l'espace, texture, vocabulaire divers et varié.
Puis je demande de commenter ces éléments bien détachés de l'ensemble du tableau par la description sèche précédente :
A propos de cette croix qui barre le tableau, c'est quoi le symbole de la croix ?
- chrétiens ; mort ; lettre de l'alphabet ; multiplication ; pour situer sur un plan ; etc
Cette texture ça vous fait pensez à quoi ?
- chocolat ; sang séché ; boue ; etc
-Et ces signes qui semble des lettres et qui n'en sont pas ?
- écriture ancienne, ésotérique ; hiéroglyphe ; etc
Et ainsi de suite. On voit alors un vocabulaire typique de l'opinion, les « comme si »
Le/la prof doit jouer également le jeu de l'interprétation personnelle, intime, c'est à dire donner lui/elle aussi son opinion.Il vaut mieux la donner après que les élèves se soient exprimé(e)s sur un élément du tableau ceci afin de ne pas imposer l'Interprétation (avec un grand « I») du prof. On peut commencer à la donner aussi quand les élèves bloquent sur un élément. A chaque fois le/la prof utilise lourdement le vocabulaire de l'opinion et les « comme si ».
Cet exercice qui semble périlleux au départ réhabilite la légitimité de la parole des élèves.
Il les invite aussi à tourner le dos à cette mauvaise habitude qui est celle de la « parole ventriloque ». Celle-ci consiste à donner comme personnelle une parole qui est, au mot près, celle d'un(e) autre : le/la prof, la famille, les copains et copines, la propagande télévisuelle...
Dernier avantage de l'exercice c'est de revenir sur le début du cours en disant que, finalement, ce tableau, il est pas si mal, que l'art on s'en fout, que l'important dans la vie c'est MOI. Pour comprendre cette affirmation provocatrice il faut lire mon autre article surTapies
On peut asseoir cette idée en projetant des photos de graffitis de Brassaï et en leur demandant si c'est du Tapies ou pas. Pour en arriver à la conclusion que l'important ce n'est pas de savoir si c'est de l'art ou pas, si ça coûte cher ou pas, si ça représente quelque chose ou pas, si l'auteur(e) est connu(e) ou pas. L'important c'est que l'auteur(e) nous montre que l'important c'est SA PROPRE émotion artistique à elle/lui, et donc caussi elle de la personne qui regarde. Bref, que l'altruisme est d'être bien persuadé(e) que le plus important au monde... c'est MOI.
On peut terminer aussi avec des courts métrages sur Tapies qui ne manquent pas sur youtube par exemple.
http://www.youtube.com/watch?v=iw2dhHrRBNg
http://www.youtube.com/watch?v=NwdLFwwB3rM
L'avantage de Tapies est qu'il offre à la fois un travail sur les symboles culturels et sur les sensations physiques, notamment le toucher.
En contrôle, afin d'être logique et de ramener sur l'opinion personnelle et non sur la pensée ventriloque, je donne un autre tableau de Tapies, contenant plus ou
moins les mêmes éléments (pour réutisier le vocabulaire) et en leur donnant la possiblité (au cas où) de demander 10 nouveaux mots de vocabulaire.
